Dernière mise à jour: 16 juillet 2023
Il s'agit d'un drone sous-marin (UUV) à propulsion nucléaire et porteur d'une tête nucléaire mégatonnique. Son concept reposerait sur la création d'un tsunami hautement radio-actif (cobalt-60) le long des installations côtières d'un pays ennemi. Passant sous l'eau, il échapperait aux défenses anti-ICBM.
La première indication de sa possible existence remonte à septembre 2015, lorsque le site freebeacon.com indique que la Russie mettrait secrètement au point un drone porteur de charges mégatonniques pour l'attaque des ports des USA, sous le nom de Kanyon (Каньон). D'aucuns le comparent déjà à la monstrueuse torpille porte charge nucléaire T-15 des années 50 (Projet de torpille électrique à tête nucléaire de diamètre 1550 mm (1530?) et de 24 m de long. Masse 40 t. Charge militaire une tête nucléaire YaB4 de 3,5 à 4 t. D'une portée de 50 à 60 km à 29 nds, elle était sensée équiper à l'origine le projet 627 Kit pour l'attaque des ports et installations côtières. Une seule torpille par sous-marin. Étude à partir de septembre 1952 . En mars 1953, les premières esquisses de la classe 627 avec cette torpille sont réalisées, et complétées dès mai 1954. Projet abandonné suite à son irréalisme, et à l'opposition de l'état major de la marine dès juillet 1954, et la participation d'experts de la marine au projet. Fusée de choc ou chronométrique. L'idée est relancée en 1961 par Andrey Sakharov, avec une tête de 100 Mt et plus.).
Esquisse de la fameuse "torpille" diffuse par le site en question.
La présence de six panneaux circulaires sur l'avant semblent indiquer la présence de tubes de lancement. Ce qui contredit l'hypothèse de la tête unique et mégatonnique.
Ceci ressemble plus à un sous-marin sans massif, tel que le projet 673 étudié en douze variantes et abandonnés après 1980
Une indiscrétion révélée par un forum en novembre 2015 montre qu'au cours d'une réunion de haut niveau de responsables de la défense, une caméra de télévision a capté une image qui pourrait être celle de l'engin en question, présentée sous le nom de Status-6. Ce qui est intrigant, c'est ce document ne porte AUCUNE indication de son niveau de confidentialité!
Curieusement, aucune sanction n'est annoncée et le reportage TV n'est pas censuré.
Le site Covert shores en tire le schéma ci après:
(Sous toutes les plus grandes réserves)
Que sait-on en fait de cette torpille? Le site freebeacon.com, dans son article de septembre 2015 indique qu'elle ferait 24 m de long pour un diamètre de 1600 mm. Elle se déplacerait à 56 nds (100?), sur une distance de 5400 N, et à une profondeur de 1000 m. Ce qui ferait qu'à la vitesse maximale hypothétique, il lui faudrait tout de même quatre jours pour rallier sa cible, si elle était tirée en portée maximale.
De nouveau, en décembre 2016, le site freebeacon.com informe qu'un essai de cette torpille aurait eu lieu à partir du B-90 Sarov. Ni le lieu, ni le type d'essai ne sont mentionnés.
Alors, on ne peut que s'interroger, tout comme le font le site Covert Shores ou le blog Submarine matters. Si la torpille devait être équipée d'un système de contre-mesures acoustiques (neutralisation de signature par moyens actifs...), il lui serait possible d'échapper pendant quelque temps aux systèmes d'écoute fixes du type SOSUS. Sa profondeur d'immersion la rendrait difficilement atteignable par des armes ASM, quoique cela ne soit pas impossible. Mais la question majeure qui reste en suspens est celle de sa mise en oeuvre. Le premier site cité dans ce paragraphe fait remarquer qu'il n'y a aucune protection radiologique autour du réacteur nucléaire. Une telle impasse compliquerait très sérieusement sa mise en oeuvre, son stockage et sa manipulation à terre comme en mer. Bien plus que celle d'un engin balistique. La protection du personnel du porteur deviendrait essentielle. La probabilité de ratés pour non fonctionnement du réacteur ne serait pas mince. Sans compter la trace radiologique laissée par l'engin en fonctionnement. (malgré mes recherches, je n'ai pas trouvé de référence sérieuse de réacteur nucléaire avec une turbine à vapeur d'aussi petite taille. Les petits réacteurs isotopiques ne fonctionnent pas sur ce principe). L'autre élément qui m'interpelle est celui du guidage: quelle précision après un tel trajet de 5400 N?
Deux hypothèses sont alors possibles:
- soit la Russie cherche à compliquer les mesures anti-ICBM en adoptant une voie originale de contournement, mais avec de très sérieuses limitations d'emploi;
- soit, et c'est l'hypothèse vers laquelle je penche de plus en plus, il s'agit ni plus ni moins que d'une opération de désinformation (maskirovka) destinée à masquer d'autres études, comme celle du projet Skif de missile balistique posé sur le fond de l'océan (à ne pas confondre avec le R-29RM / SS-N-23 Skiff).
Le 20 mai 2017, le Belgorod, du projet 09852, est donné comme l'un des porteurs.
En 2018, le département de la Défense US indique que la marine russe posséderait un ou plusieurs "drones nucléaires" de ce type.
A ce sujet, quelques réflexions de ma part, si tant est que ce projet existe.
On voit ces derniers temps toute une logorrhée sur la possession actuelle ou future par la Russie d’une «super-torpille» à propulsion nucléaire, la dénommée Status-6. Son existence a été « fortuitement » dévoilée par la télévision russe en novembre 2015. Et les amateurs de schémas n’ont pas été en reste.
Mais je n’ai trouvé nulle part de questionnements sur les défis que suppose la mise au point et l’emploi d’une telle arme.
Quelles sont les caractéristiques de l’engin ?
Diamètre 1600 mm
Vitesse 56 nds
Autonomie 5600 n, soit 100 heures
Rapprochons les de celle des torpilles 65-76A de 650mm de la marine soviétique (oui, du type de celle qui a causé la catastrophe du Kursk)
Diamètre 650 mm
Vitesse max : 50 nds
Autonomie 28,5 N à 50 nds
Pour obtenir ces caractéristiques, la 65-76A fait appel à une turbine 2DT donnée pour une puissance de 1070 kW. Ce qui est déjà conséquent.
Si l’on prend pour base la 65-76A, on aurait donc une puissance nécessaire de 2,6 MW à la même vitesse pour la Status, par une simple règle de 3. Mais à la vitesse de cette dernière, il faudrait donc une puissance d’environ 3,7 MW, compte-tenu de la viscosité du milieu ambiant. (la puissance nécessaire est un facteur 3 de la vitesse).
Les schémas de la Status-6 montrent un réacteur avec turbine et condenseur. On peut en déduire qu’il s’agit d’un réacteur à caloporteur liquide. L’usage d’un caloporteur à métal solide (plomb Bismuth Sodium) supposerait une trop lourde logistique pour maintenir ce caloporteur à bonne température. Cette option écarte aussi l’emploi de réacteurs isotopiques, dont la puissance est bien trop faible pour parvenir à de tels niveaux d’énergie.
Quid alors du réacteur ? Utiliser des matières fissiles classiques (uranium enrichi, plutonium…) impliquerait une protection radiologique importante à mettre en place dès lors que le réacteur a divergé . Protection impossible à mettre en place sur l’engin, compte tenu de son poids . La manipulation suppose donc soit que le réacteur est chargé inerte avant le lancement. On court alors le risque d’un raté lors du lancement, la divergence du réacteur restant une opération complexe. S’il ne l’est pas, et que le réacteur a déjà divergé, le stockage à bord est quasiment impossible. L’engin serait alors placé à l’extérieur de la coque épaisse, avec un réacteur en fonctionnement au ralenti. Se pose alors la question de son refroidissement lors du stockage à terre.
Il existe néanmoins une autre solution, celle d’un combustible comme celui des réacteurs de recherche TRIGA (https://en.wikipedia.org/wiki/TRIGA).
Par ailleurs, pour des questions d’encombrement, la filière adoptée serait plutôt celle d’un réacteur à eau bouillante (BWR), plutôt que celle d’un réacteur à eau pressurisée (PWR). Ceci pour réduire le nombre de circuits nécessaires.
Une autre point qui n’est pas abordé est celui de la disposition du réacteur à l’horizontale. Je ne connais que des générateurs de vapeur fonctionnant à la verticale, du fait des lois de la gravité.
Reste alors la question de la dimension. On a vu que l’engin est donné pour un diamètre de 1600 mm. Sur les schémas dévoilés par « inadvertance », on peut remarquer que le réacteur occupe une longueur d’environ 3,7 m.
Le premier grand défi est donc d’arriver à mettre au point un réacteur fiable, présentant peu de risque d’irradiation lors de la manipulation de l’engin, pouvant fonctionner à l’horizontale , et entrant dans un volume de 1,6 m sur 3,7… avec son générateur de vapeur.
Le second défi est celui de la navigation. La dérive communément admise aujourd’hui pour les centrales inertielles est de l’ordre de 1 N/h. Admettons que la Russie ait été capable de mettre une centrale capable d’une performance double, et ramenons cette valeur à 0,5 N/h. Ce qui nous fait tout de même 50 N d’écart probable à l’arrivée. J’écarte l’idée d’une hybridation du système de navigation parce que rien ne prouve que les systèmes de positionnement satellitaires soient encore exploitables en période de tension majeure. Une telle option impliquerait aussi que la Status-6 revienne périodiquement à une immersion moindre pour pouvoir capter les signaux correspondants. Ce qui nuirait à sa discrétion.
Le troisième défi est celui du bruit. Une torpille n’est pas connue pour la discrétion de sa propulsion. La puissance du réacteur et du générateur associé pourrait permettre d’installer un système actif de masquage de bruit.
Nouvelles réflexions en date du 3 mars 2018
Entre 1957 et 1964, les USA ont étudié un missile dénommé Super Low Altitude Missile (SLAM), connu aussi sous le nom de Pluto.
On en trouvera une description complète ici http://jpcolliat.free.fr/x6/x6-10.htm
Les éléments intéressants que l'on peut rattacher à la torpille Status-6 sont les caractéristiques du réacteur: 1,45 m de diamètre sur 1,6 m de long. Le coeur faisait lui 1,2 m de diamètre pour 1,28 m de long. Il développait une puissance de 600 MW avec une température de 2330°C. Le combustible était composé d'oxyde de beryllium, mélangé avec du bioxyde d'uranium et du bioxyde de zirconium. La masse critique était de 60 kg. Le réacteur nucléaire était sensé être mis en service une fois la vitesse nécessaire à la mise en route du stato-réacteur nucléaire atteinte (vers M 3,0).
Il est donc possible de doter une torpille de 1,6 m de diamètre d'une propulsion nucléaire.
Mais trois aspects ont sonné le glas d'un tel missile:
- techniquement, le réacteur qui ne disposait pas de protection, dégageait une très forte chaleur (c'était le but recherché ici) mais aussi un très fort rayonnement. Il a donc fallu concevoir une électronique adaptée et la placer le plus loin possible du réacteur. Ce qui interroge lorsque l'on observe que toute l'électronique de guidage de la Status-6 est placée juste devant le réacteur. Ce rayonnement était tel, une fois le réacteur divergé, que les manipulations devaient se faire dans une enceinte spéciale à l'aide de télémanipulateurs.
- les essais en vraie grandeur n'ont pu être réalisés, d'une part à cause de toutes les radiations produites par l'engin qui auraient tout pollué sur le transit. Et d'autre part à cause des risque induits par une éventuelle défaillance du système de guidage qui aurait mis en danger les populations avoisinantes. Il était prévu de faire écraser les missiles de test dans la fosse des Mariannes. Encore fallait-il avoir la certitude absolue qu'ils l'atteignent.
- enfin, il était à craindre que la dotation des forces américaines avec un missile aussi dévastateur n'entraîne les soviétiques à se doter du même type d'engin. Le jeu n'en valait pas la chandelle, d'autant que les missiles balistiques à propulsion classique se montraient d'un emploi plus souple et plus sûr.
Si l'aspect technique paraît donc "maîtrisable", les aspects stratégiques et d'essai posent encore question.
L'arme est baptisée Poseïdon le 31 mars 2018, après un vote par Internet. Elle devrait être mise en service d'ici 2027, sur un porteur pour l'heure non identifié. Mais ce serait un sous-marin nucléaire en construction chez Sevmash. La charge militaire pourrait aller jusqu'à 2 Mt.
En juillet 2018, Le ministère de la Défense russe a dévoilé une vidéo de la torpille Poseidon Commentaires: l'engin est effectivement tout à fait différent de celui peint en jaune que l'on voit habituellement, et qui est de fait le drone Klavesin. Il présente une hélice pompe, montrée en fonctionnement. Quatre surfaces de contrôle, qui me paraissent bien petites pour un tel engin, sont également montrées en action. Elles seraient repliables, si l'on en juge par la photo ci-dessous. Ce qui permettrait de loger l'engin dans un tube.
Il serait d'un diamètre d'environ 2,50 m si l'on en juge par la taille des techniciens à proximité. Techniciens qui évoluent avec une simple combinaison de papier autour de l'engin en fonctionnement, sans aucune protection radiologique. De plus, on ne peut voir aucun cable de raccordement ou d'alimentation externe, ce qui indique que l'engin fonctionne sur son énergie propre. Ce qui sous-entend qu'il est en alimentation autonome hors de l'eau.
Hors, si cette propulsion était réellement nucléaire, il faudrait à tout le moins:
- protéger le personnel des rayonnements induits
- que l'engin présente une écope de prise d'eau et une sortie de cette même eau pour le condenseur.
Fin décembre 2018, début des essais de la propulsion nucléaire de la torpille géante Poseidon. Le réacteur est installé dans la carcasse de l'engin mais les tests sont effectués jusqu'à présent dans le cadre du développement, et non de tests de fonctionnement à grande échelle. L'arme est mise au point dans le cadre du plan 2018 - 2027, et devrait être équiper la marine avant la fin de cette période Source: https://bmpd.livejournal.com/3472328.html et https://iz.ru/827914/2018-12-25/rossiia-nachala-ispytaniia-atomnogo-podvodnogo-bespilotnika-poseidon Commentaires: l'engin présenté jusqu'auparavant hélice tournant devait donc fonctionner avec un moteur électrique alimenté par des câbles non visibles sur les photos fournies. Par ailleurs, on notera la confusion soigneusement entretenue entre le drone Klavesin (corps jaune, quatre hélices simples) et cette torpille (corps gris, hélice pompe), dans les diverses vidéos diffusées.
En janvier 2019, il est annoncé que la marine russe pourrait mettre jusqu'à 32 torpilles Poseidon en ligne, sur deux sous-marins dans les flottes du Pacifique et du Nord. Commentaires: ce qui ferait 8 engins par porteur qui seraient préférentiellement des sous-marins de la classe 949A Antey Oscar II modifiés pour la circonstance. On notera qu'un des sous-marins de cette classe est en cours de modernisation en classe 949AM au chantier Zvezda de Bolshoy Kamen. Rien n'indique pour l'heure qu'il est en cours d'adaptation à la torpille Poseidon.
Autre nouvelle de la même date, la méga-torpille Poseidon pourrait atteindre la vitesse de 110 noeuds en utilisant des propriétés de super cavitation. Elle pourrait descendre jusque 1000 m de profondeur. Commentaire: on est là dans un summum d'incohérences: soit cette vitesse n'est pas possible, compte tenu de l'hélice pompe propulsive, de la fragilité apparente des ailerons directionnels de la maquette présentée et de la nécessité d'un autoguidage, soit la maquette présentée n'est qu'un leurre destiné encore une fois à brouiller les pistes. C'est cette dernière hypothèse qui me paraît la plus crédible.
Selon un expert russe, ces armes, que les États-Unis ont qualifié d'armes du Jugement dernier, n'atteindraient pas les USA. Pour un autre, il s'agit clairement d'une arme de représailles (de 2ème frappe), dont la puissance du réacteur lui permettrait d'atteindre la vitesse de 100 noeuds Commentaires: voir ci-dessus pour la vitesse. Enfin, on notera une fois encore la confusion soigneusement entretenue entre le Poseidon et le drone Klavesin montré sur la photo en tête de l'article.
On pourra lire par ailleurs la synthèse du site partenaire sur le sujet.
En février 2019, une nouvelle qui déclare que les essais sont "terminés", indique que l'engin présente une masse de 100 tonnes, qu'il a un diamètre de 1,8 m et que "posé debout", il est aussi haut qu'un immeuble de six étages [soit environ 20 m). Prévu pour l'attaque de cibles terrestres ou navales, il peut emporter une charge militaire classique ou nucléaire pouvant aller jusqu'à 2 Mt. De fait, ce sont les essais de l'installation nucléaire propulsive qui sont terminés. La puissance atteinte permettrait à l'engin de se déplacer à une vitesse supérieure à 200 km/h. Les essais constructeurs débuteront à l'été depuis une base de lancement à terre. La construction du Khabarovsk (classe 09851) se poursuit au chantier Sevmash.
Le 2 mars 2019, il se révèle que l'engin a fait l'objet d'un développement de composants de la Status-6 (Poseidon) depuis 1989, développement qui s'est poursuivi pendant les premières années de la fédération de Russie. Les commandes pour le réacteur nucléaire ont été confirmés en juin 1992. Le projet aurait alors été dénommé Skif. Le premier porteur devrait être le Belgorod (classe 09852) qui a été mis à l'eau le 23 avril 2019. Le Khabarovsk (classe 09851), dont la construction a débuté en 2014, devrait suivre.
Le 5 mars, le Belgorod est confirmé pour être le premier sous-marin porteur de l'engin, au nombre de six. Il entrerait en service en 2020.
Le ministre de la Défense russe a inspecté dans le courant de la semaine du 14 mars les installations de la torpille Poseidon à Severodvinsk.
Selon une dépêche du 23 avril 2019, le système d'armes serait opérationnel avant 2021.
La marine espère disposer de 30 engins de ce type d'ici 2027.
En janvier 2023, la première dotation du Belgorod est en cours de préparation. Tous les composants, y compris la centrale nucléaire, ont été essayés avec succès. Les essais devraient commencer à l'été 2023 depuis le Belgorod (classe 09852).