Dernière mise à jour: 18 juin 2020
Tous passés sous pavillon russe, les sous-marins à propulsion nucléaire lance -missiles aérodynamiques (SSGN) ont été conçus à l’origine de la catégorie pour une stricte action contre la terre, en parallèle avec les SSBN. Mais avec l’émergence de missiles balistiques stratégiques plus performants dans cette usage que les missiles aérodynamiques, leur mission a rapidement glissé vers l’attaque des groupes de porte-avions.
Aujourd’hui, après les démonstrations faites par les SSK de la classe 06363 Varshavyanka et leurs missiles Kalibr-PL, on note une tendance au cumul de ces deux missions. Ce qui se confirme après les essais de lancement de ce missile à quai par le K-560 Severodvinsk et la dotation des Yasen de toute génération de roquettes destinées à briser la glace de la banquise, à l’instar des SSBN.
Ces sous-marins sont uniquement basés dans les mers ouvertes, en flotte du Nord et en flotte du Pacifique, à l’instar de tous les sous-marins à propulsion nucléaires russes.
Le développement s’effectue selon deux axes :
- la construction d’unités neuves de la classe 885M Yasen-M ;
- la modernisation de quelques unités de la classe 949A Antey.
Pour les 885M, huit unités sont en cours de construction[1, avec une première mise en service attendue en 2020. Dans le cadre de cette étude, on a considéré que le dernier serait livré en 2027.
Pour la modernisation des classes 949A Antey en classe 949AM, quatre unités sont annoncées. Mais seules deux sont en cours de travaux. La livraison du premier aurait lieu en 2022, le troisième pas avant 2025.
Enfin, on a considéré que ces unités devront subir comme à l’heure actuelle une période d’entretien majeur tous les 10 ans.
On ne connaît pas de possible suite au projet 885M, étant entendu que le bureau Malakhit plaide pour une plate-forme commune basée sur le sous-marin nucléaire d’attaque 545 Laïka (voir ci-après), et qui comprendrait des SSBN comme des SSGN. La commande des unités 7 et 8 semble repousser ce programme à après 2030.
Figure 18 SSGN Parc et ligne 1992 - 2035
La chute du parc est brutale jusqu’en 1998, et se poursuit jusqu’au plateau de 2012 – 2013. Les effectifs recommencent à progresser ensuite pour atteindre un pic en 2014. Ils devraient rechuter après 2030, si tant est qu’aucune unité de la classe 545 Laïka n’arrive en service. Il faudrait qu’elle soit mise sur cale entre 2022 et 2023…
Figure 19 SSGN Parc / âge 1992 - 2035
Au début de la période, l’âge moyen connaît une diminution qui le fait passer sous les dix ans. Mais il repart à la hausse dès 2011 pour atteindre un maximum de 22 ans en 2017. Après ce pic, il redescend sous les 20 ans en 2020. Jusque 2030, il évolue entre 16 et 19 ans, et progresse ensuite, faute de nouvelles unités en service. Compte tenu du délai de construction d’une unité, il est peu probable que l’âge ne connaisse pas une forte progression. Les premiers classe 545 Laïka ne sont pas attendus avant 2030 au mieux.
Figure 20 SSGN Parc / ligne 2015 - 2035
Le maximum d’unités en parc (14) est atteint en 2022, pour retomber à neuf unités en 2029. L’écart entre unités en parc et en ligne va baisser à nouveau à partir de 2030, comme on l’a déjà indiqué ci-dessus. Le parc reste stable à 12 unités.
Figure 21 SSGN Parc / âge 2015 - 2035
L’arrivée des Yasen et Yasen-M va contribuer à abaisser l’âge moyen jusqu’à 14 ans en 2027. Il reprend ensuite sa progression, notamment du fait du grand âge des classes 949AM.
Les unités sont réparties par tranche d’âge de 10 ans. Cet intervalle a été retenu pour tenir compte des échéances d’entretien majeur appliquées dans le système russe.
Les diagrammes se lisent dans l’ordre des aiguilles d’une montre, les unités les plus jeunes figurant dans la partie supérieure droite. Les mêmes couleurs sont conservées pour les intervalles correspondants tout au long des diagrammes.
Les données d’écart sont en fait celles de l’écart-type[2]. La largeur de l’écart caractérise l’étalement dans le temps des mises en service. Avec pour corollaires un plus grand nombre de classes différentes, et par contre-coup une logistique plus complexe. Sa faiblesse caractérise des renouvellements brutaux. Ce qui expose à un mur budgétaire au moment du remplacement des unités.
Figure 22 SSGN Par âge 1992
L’âge moyen est idéal. L’écart type est néanmoins relativement important. La majorité est sous les 20 ans. L’arrivé de nouvelles unités (ici en bleu) paraît pouvoir compenser la tranche des 10 – 20 ans.
Mais la tranche des 20 – 30 ans est de fait celle de sous-marins dont les capacités opérationnelles sont dépassées. Leur usage ne peut être que limité, et ne peut être envisagé face aux groupes de porte-avions adverses. On y trouve des unités de 1ère (classe 675) et de 2ème génération (classes 670M Chayka, 667AT Grusha, 667AM Navaga-M).
Figure 23 SSGN Par âge 2020
L’âge moyen fait un bond, et l’écart type se réduit.
La part de classe 949A Antey reste prépondérante (secteur jaune). Son système d’armes à base de missiles P-700 Granit a déjà 32 ans. Entre 1992 et 2020, la flotte perd 18 unités, soit les deux tiers de son parc. S’il s’agit pour la plupart de classes anciennes (675, 670…), on note aussi le retrait de service des deux classes 949 Granit. La disparition accidentelle du Koursk en 2000 parachève cette réduction.
Depuis 1992, sept sous-marins sont mis en service, les derniers de la classe 949A Antey, l’unique représentant de la classe 885 Yasen, et les deux premiers de la classe 885M Yasen-M.
Dix-sept ans séparent la mise en service du dernier 949A et de l’unique 885.
Quatre classes 885M Yasen-M sont en construction. Leur mise en service est annoncée pour la période 2021 – 2025. Il est possible que deux nouveaux Yasen-M soient mis sur cale (unités 6 et 7)
On peut estimer la perte en postes de spécialistes à environ un millier.
Figure 24 SSGN Par âge 2025
On aborde là le domaine des prévisions.
L’effectif en parc croît et l’âge moyen diminue fortement. L’écart type est quasiment au double de l’idéal.
Les six nouveaux sous-marins (secteur bleu) correspondent aux Yasen-M (si le planning de construction est respecté pour ces derniers).
La tranche 20 – 30 ans est totalement absente, ce qui marque bien la rupture entre les 3ème et 4ème générations.
Aucune sortie de flotte n’est prévue.
La période pourrait voir la mise sur cale du premier Laïka (classe 545). Le missile hypersonique Tsirkon aura fait son apparition.
Figure 25 SSGN Par âge 2030
Le parc et l’âge moyen n’évoluent pas. L’écart type est toujours le double de l’idéal.
Trois sorties de flotte sont possibles entre 2020 et 2025, pour des unités de la classes 949A Antey. Sept des neuf 885 Yasen[3]sont en service, tous comme les deux premières unités de la classe refondue 949AM.
Aucune nouvelle unité n’est mise sur cale ou admise en service.
Figure 26 SSGN Par âge 2035
L’âge moyen s’accroît toujours, l’écart type est stable.
On peut s’interroger sur la valeur effective des classes 949AM d’une taille gigantesque et qui fonctionnent selon une architecture propulsive double (deux réacteurs, deux hélices). Seule leur capacité d’emport (jusqu’à 96 missiles Kalibr-PL[4]) semble justifier leur maintien en service jusque-là.
Toutes les unités de la classe 949A Antey (non refondues) ont disparu, avec le système d’armes Granit. Tout repose dorénavant sur les missiles Kalibr-PL / Oniks / Tsirkon.
Aucune admission en service ou mise sur cale n’est annoncée.
Figure 27 SSGN Ratio 1992 - 2030
Le ratio entre unités en parc et unités en ligne n’est qu’à 55 % en 2016 / 2017. Il progresse ensuite en dents de scie jusqu’à atteindre 100 % en 2028 et 2029[5]. Il va s’effondrer irrémédiablement à partir de cette date, du fait des entrées successives en entretien majeur et des disparitions des derniers classes 949A Antey non modernisés.
Figure 28 SSGN Poids de l'histoire
D’une part quasi prépondérante au départ, la part des bâtiments conçus à l’époque soviétique va ensuite se réduire dès 2025, mais demeurer à un niveau constant jusque 2035.
Plusieurs indices montrent que cette catégorie va prendre une plus grande place dans la stratégie russe à l’avenir.
Les classes 949A Antey, autrefois classés comme sous-marins nucléaires lance-missiles aérodynamiques (PLARK) sont dorénavant classés comme sous-marins nucléaires multi-missions lance-missiles aérodynamiques (MPLATRK). Deux de ces sous-marins ont effectué un tir de missiles P-700 Granit contre des cibles terrestres en 2017 et 2018, ce qui constituait pour eux une première. La modernisation de quatre d’entre eux en porteurs de missiles Kalibr-PL / P-800 Oniks / 3M22 Tsirkon conforte ce nouvel emploi.
En dépit de l’annonce de son coût particulièrement élevé, la série des classes 885 / 885M va être accrue de deux unités. La première, le K-560 Severodvinsk, a mené deux expérimentations jusque-là inédites pour des SSGN russes : tir en surface, en mer et à quai, et émersion à l’intérieur de polynies artificielles créées par l’emploi de roquettes spécialisés, à l’intérieur de la banquise de l’océan Glacial Arctique. Cette dernière mission a été exécutée en compagnie de deux SSBN.
Un autre indice est venu de la décision de lancer l’étude d’une nouvelle classe de SSGN, le projet 545 Laïka (ex Husky). Alors que l’on pouvait s’attendre à la construction d’un successeur des SSN des classes 971 Shchuka-B, catégorie très mal en point [6], les autorités russes ont tranché, non sans surprise pour les observateurs, pour un nouveau SSGN armé des mêmes missiles aérodynamiques que les Yasen.
Qu’en conclure ? Si la mission exclusive des SSGN russes était d’anéantir les groupes aéronavals adverses, ils sont aujourd’hui également investis de missions de frappes contre des cibles terrestres. Comme on le notera pour les SSK par la suite [7], ces unités disposent d’un réseau VLF particulier centré au tour du récepteur R-643 Piatidesyatnik [Pentecôte], permettant à l’état-major de les mettre en œuvre dans des délais relativement courts.
Enfin, l’attitude des Etats-Unis d’Amérique (USA) qui remettent actuellement en cause tous les traités de limitation des armements nucléaires, et leur déploiement récent d’un SSBN équipé de charges nucléaires de faible puissance ne peuvent, à mon avis, qu’inciter les autorités russes à doter le missile hypersonique 3M22 d’une charge nucléaire. Ce qui renforcerait la menace préstratégique en la diluant dans l’espace maritime, le tout dans une volonté affirmée de contourner les systèmes anti-missiles balistiques installés par les USA en Roumanie et Pologne.
On s’est limité à l’existant actuel, avec les dernières dates connues, ainsi qu’au programme de construction en cours de réalisation.
Figure 29 SSGN Classe 949A
Nom |
ASA |
SR |
Échéance retenue |
Flotte |
|
K-119 |
29/12/1989 |
2006 - 2011 |
2022 |
Nord |
|
K-410 |
22/12/1990 |
2011 - 2013 |
2034 |
Nord |
|
K-266 |
30/12/1992 |
2014 - 2016 |
2026 |
Nord |
|
K-186 |
15/12/1993 |
2015 - 2018 |
2028 |
Pacifique |
|
K-150 |
30/12/1996 |
2010 - 2014 |
2024 |
Pacifique |
|
|
|
|
|
|
|
Figure 30 SSGN K-560 Severodvinsk
Nom |
ASA |
SR |
Échéance retenue |
Flotte |
K-560 |
17/06/2014 |
2025 – 2027 * |
2044 |
Nord |
* estimation
En service « expérimental » jusque mars 2016
Figure 31 SSGN K-561 Kazan
Nom |
ASA* |
SR* |
Échéance retenue |
Flotte |
K-561 |
2020 |
2031 – 2033 |
2054 |
Nord |
K-562 |
2020 |
2031 – 2033 |
2055 |
Pacifique |
K-571 |
2021 |
2032 – 2034 |
2056 |
Pacifique ? |
K-564 |
2022 |
2033 – 2035 |
2057 |
Nord ? |
K- ? Perm |
2023 |
2034 – 2036 |
2058 |
Nord ? |
K- ? Ulyanovsk |
2024 |
2035 – 2037 |
2059 |
Pacifique ? |
167 |
2027 |
2038 - 2040 |
|
|
168 |
2027 |
2038 - 2040 |
|
|
* estimations
Il s’agit du programme de modernisation de la classe 949A pour équiper ces unités de la panoplie de missiles Kalibr-PL / P-800 Oniks / 3M22 Tsirkon.
Nom |
ASA* |
SR |
Échéance retenue |
Flotte |
K-132 |
Fin 2021 |
2032 - 2034 |
2043 |
Pacifique |
K-442 |
2023 |
2034 - 2036 |
2045 |
Pacifique |
K-456 |
2025 |
2036 - 2038 |
2047 |
Pacifique |
NB : un quatrième est annoncé. Il ne figure pas ici, parce son nom n’est pas encore connu.
Abréviations utilisées
ASA : Admission au Service Actif
SR : Sredniy Remont
TK : Tekushiy Remont
[1] Les plans initiaux prévoyaient la construction de 30 (trente !) unités
[2] Environ 68 % des unités sont incluses dans un intervalle d’un écart-type de part et d’autre de la moyenne
[3] Bien entendu, classes 885 Yasen et 885M Yasen-M
[4] L’emport annoncé est de 4 missiles Kalibr-PL ou trois missiles P-800 Oniks par tube SM-878, l’Oniks étant remplacé par un nombre inconnu de missiles 3M22 Tsirkon. Chaque sous-marin dispose de 24 tubes.
[5] Encore une fois si les calendriers annoncés sont respectés
[6] Voir à la partie 3. Les sous-marins nucléaires d’attaque
[7] Voir à la partie 4. Les sous-marins d’attaque à propulsion non-nucléaire