Dernière mise à jour: 18 juin 2020
Il s’agit des sous-marins à propulsion nucléaire lanceurs de missiles balistiques stratégiques porteurs de têtes nucléaires. En français des Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engins (SNLE). L’acronyme anglo-saxon équivalent est SSBN.
A la disparition de l’Union Soviétique, tous les sous-marins de cette catégorie sont stationnés en flotte du Nord à Gadzhievo (33ème diviziya) et à Vilyuchinsk (25ème diviziya) pour la flotte du Pacifique. Le nombre d’unités figurant à l’inventaire est impressionnant : 52, de six classes et de deux générations différentes (2ème et 3ème [1]). Les plus importants sont les Akula (classe 941)[2]. Mais très vite, ce nombre va fondre jusqu’à 9 en 2010. Il va s’écouler 22 ans entre la mise en service du dernier sous-marin « soviétique » et la mise en service du premier sous-marin russe.
Quel va être l’avenir de cette composante ?
Il est clair, en fonction de toutes les déclarations faites et des moyens investis, qu’il existe une volonté politique de la maintenir. Et sa répartition géographique en deux sous-ensembles, un en Arctique, l’autre dans le Pacifique, va être conservée.
Mais avec quels équipements, et selon quel programme ? C’est ce que l’on tentera de déterminer ci-après.
Les données chiffrées retenues par classe et par unité figurent dans les tableaux du paragraphe 1.7.
Pour la classe 667BDR Kalmar, seul le K-44 Ryazan doit perdurer quelques années, après un très long entretien qui s’est achevé fin 2016.
Pour les cycles d’entretien des classes 667BDRM Delfin, on considère que ces sous-marins suivent un cycle régulier comme pour les premières unités de la classe. On table sur un retrait entre 2023 et 2035.
Pour les classes Borey (955 et 955A), on a considéré que ces unités subissaient un cycle d’entretien tous les dix ans, à partir de leur date d’admission au service réelle ou théorique à partir des dernières données disponibles concernant le calendrier des constructions.
Figure 1 SSBN Parc - ligne 1992 - 2035
L’impressionnante chute du parc ne se stabilise qu’en 2011. Elle croît ensuite, avec deux creux en 2018 et 2025, va atteindre un pic en 2028 avant d’atteindre un palier vers 2033. Au cours de la période, on passe de 52 unités à 11.
Figure 2 SSBN Nombre / âge 1992 - 2035
Par contre, l’âge moyen s’inscrit dans une plage entre 13 et 26 ans, maximum atteint en 2012. Il se maintient au-dessus de 20 ans de 2005 à 2021. Le vieillissement devrait atteindre son plus bas niveau en 2028. Mais, même avec l’arrivée des Borey-A n° 6 et 7, cet âge moyen restera supérieur à celui de la première moitié des années 90.
Figure 3 SSBN Âge / Écart-type 2010 - 2035
L’écart type atteint un pic en 2023, pour revenir à 5 ans à partir de 2031, du fait de l’homogénéité de la flotte. On analysera plus avant toutes ces données pour la période 2015 – 2040.
Figure 4 SSBN Parc / Ligne 2015 - 2035
Le parc culmine en 2023 et 2027, mais finit par se stabiliser à partir de 2030. L’arrivée en service des classes Borey (4ème génération[3]) dans leurs différentes sous-classes ne permet pas de compenser les retraits des 667 Delta[4]
Deux étiages sont notables dans les unités en ligne. Le premier en 2025 correspond à la première période d’entretien des classes 955 Borey. Le second en 2033 à la première période d’entretien des classes 955A Borey-A.
Il va s’écouler en gros sept ans entre la mise sur cale d’un classe 955A et son admission en service actif. La mise sur cale attendue cette année des Borey-A 6 et 7 ne permettra donc pas de compenser le creux du début des années 2030.
Mais cette décision permettra de conserver en parc à minima quatre à cinq SSBN par façade. Pour les unités en ligne, c’est une toute autre histoire. En effet, les deux classes 955 de flotte du Pacifique, les Aleksandr Nevskiy et Vladimir Monomakh devraient être pris en charge pour leur entretien programmé par le chantier Zvezda, en Extrême Orient, chantier qui pour l’heure n’est pas connu pour son respect des délais.
Figure 5 SSBN Nombre / âge 2010 2035
L’effort entrepris permet de réduire l’âge moyen qui entame une descente à partir de 2018, avec un minimum atteint en 2029 (16 ans, à comparer aux 13 ans de 1993).
Les unités sont réparties par tranche d'âge de 10 ans. Cet intervalle a été retenu pour tenir compte des échéances d’entretien majeur appliquées dans le système russe. Les diagrammes se lisent dans l’ordre des aiguilles d’une montre, les unités les plus jeunes figurant en haut à droite. Les couleurs sont conservées pour les intervalles correspondants tout au long des diagramme. L
es données d’écart sont en fait celles de l’écart-type[5]. Un écart large caractérise l’étalement dans le temps des mises en service. Avec pour corollaires un plus grand nombre de classes différentes, et par contre-coup une logistique plus complexe. Un écart faible caractérise des renouvellements brutaux. Ce qui expose à un mur budgétaire au moment du remplacement des unités.
Figure 6 SSBN Répartition par âge en 1992
La flotte est jeune dans l’ensemble, 12 ans en moyenne, avec un écart type de 5 ans. Mais le déséquilibre est déjà très fort entre les moins de 10 ans et les 10 – 20 ans. Déséquilibre qui va être très préjudiciable pour la suite, du fait des choix financiers à effectuer pour les entretiens majeurs.
Les deux dernières unités de l’époque soviétique viennent d’entrer en service (une de la classe 667BDRM Delfin et une de la classe 941 Akula).
On compte encore 26 unités des premiers projets de la 2ème génération (667A Navaga, 667B Murena et 667BD Murena-M).
Figure 7 SSBN Répartition par âge 2020
Le constat est sans appel : le parc est réduit à moins d’un quart du précédent. De plus, il se compose d’un côté d’unités récentes, de l’autre d’unités dont l’âge a dépassé les 30 ans, limite théorique de fin de vie (la plus ancienne atteint 38 ans). L’âge moyen et l’écart type sont importants. Les deux tiers des sous-marins sont compris dans une fourchette allant de 6 à 36 ans.
Le déséquilibre entre les flottes est flagrant, puisque celle du Pacifique ne dispose que de trois unités.
La logistique va aussi peser, avec quatre sous-classes différentes, et deux (trois ?) types de missiles.
Deux unités de la classe 955A Borey-A entrent en service.
Seule consolation, l’âge moyen commence à baisser.
Figure 8 SSBN Répartition par âge 2025
Le parc reprend un peu de vigueur. Le K-44 Ryazan (classe 667BDR Kalmar Delta III)a dépassé les 40 ans, et les unités survivantes de la classe 667BDRM Delfin les 35 ans.
Si l’âge moyen a baissé, la répartition entre flottes tend vers l’équilibre. L’écart type reste important.
Trois nouvelles unités de la classe 955A ont rejoint la Flotte.
Figure 9 SSBN Répartition par âge 2030
Le K-44 Ryazan, dernière unité de la classe 667BDR, a été rayé du service actif en 2027. Trois classes 667BDRM Delfin encore en service (de plus 30 à plus 40 ans !).
Les deux dernières unités de la classe 955A Borey-A sont en service.
L’âge moyen se rapproche de l’idéal, avec un écart type en réduction.
Figure 10 Répartition par âge 2035
Le K-407 de la classe 667BDRM arrive là en fin de vie, après avoir été mis en service en novembre 1990. C’est la dernière apparition de cette classe dans l’inventaire, 43 ans après la disparition de l’URSS.
L'âge moyen augmente légèrement de ce fait, mais l’écart-type se réduit.
A la date de rédaction de l’étude, aucune nouvelle unité n’est prévue pour cette période.
Figure 11 SSBN Ratio parc / ligne 2015 - 2035
Le diagramme ci-dessus illustre le rapport entre les unités en ligne et celles en parc. Sur la période, la moyenne s’établit autour de 80 %, c’est à dire qu’une unité sur cinq en moyenne est en chantier. Ce qui est remarquable quand on le compare aux mêmes ratios des autres catégories de sous-marins ci-après. Les efforts entrepris à partir de 2013 sont révélateurs de l’importance accordée à cette composante. Un minimum important (30 % des unités immobilisées dans un chantier) va apparaître en 2025 du fait des Arrêts Techniques Majeurs. Ce même phénomène se retrouvera, avec une moindre ampleur (environ 25 % des unités immobilisées dans un chantier) entre 2031 et 2033.
Figure 12 SSBN Poids de l'histoire
Si la part de bâtiments de conception soviétique est encore majoritaire en 2020, elle s’érode peu à peu. Mais elle va tout de même perdurer jusqu’en 2035. Ceci, en considérant que les classe 955 Borey sont de conception purement russe, alors qu’ils utilisent des composants de l’ère soviétique.
La composante navale des forces nucléaires stratégiques a toujours été considérée comme un apanage du statut de grande puissance. Même aux heures les plus sombres que la marine a connu après l’effondrement de l’URSS, elle a toujours bénéficié en Russie de la priorité en termes de maintenance.
Sa modernisation, entamée avec l’arrivée du premier sous-marin de la classe 955 Borey en 2013, va se poursuivre, avec la commande annoncée des 6ème et 7ème unités de la classe 955A Borey-A. Mais le rythme de livraison s’est quelque peu effondré au cours du temps, la cinquième unité, le Knyaz Pozharskiy, étant annoncée pour une entrée en service actif en 2020. Elle ne devrait l’être que vers 2023, dans le meilleur des cas.
Ces retards, attribuables en partie aux difficultés de financement, découlent aussi de la mise au point laborieuse du missile à ergols solides Bulava qui demeure à l’heure actuelle le missile avec le plus haut taux d’échec de toute l’histoire des MSBS [6] soviéto-russes (près de 36%). Sa crédibilité peut interroger, car lors du dernier exercice des forces stratégiques russes le 26 octobre 2019, ce sont des missiles à ergols liquides (famille des R-29) qui ont été mis en œuvre. Cet exercice était important puisque le président russe y tenait son propre rôle. Les informations concernant les missiles lancés de sous-marins avaient fait l’objet d’un « embargo », comme si l’on avait souhaité masquer le fait que le Bulava n’était pas disponible. En outre les deux Borey affectés en flotte du Pacifique n’ont pas effectué de lancement en direction de l’ouest, lancement pourtant annoncé depuis 2015. Les arguments ici évoqués pour l’absence de lancement depuis cette zone interrogent. On déclare qu’il n’y pas de dispositif de manutention dans la zone Pacifique, alors qu’un portique existe depuis des lustres à Vilyuchinsk pour les Delta, qu'il était dit adapté dès 2015, et que le polygone de Chizha, au nord de Murmansk n’est pas équipé pour le suivi des têtes alors que ce même polygone est en mesure de suivre les têtes des missiles Sineva… Ce qui se cache en fait derrière cette absence est très certainement d’ordre financier. L’affectation du K-551 Vladimir Monomakh en flotte du Pacifique en 2015 avait déjà été retardée d’un an faute de disponibilité d’un lot de missiles. Dix Bulava seulement ont été livrés en 2019. les nouveaux arrivants devront également en être dotés.
Ces classes Borey reprennent une caractéristique unique des SSBN soviétiques, avec leur capacité à lancer en surface. Cette disposition est nécessaire pour des sous-marins évoluant sous la calotte glaciaire et devant émerger à l’intérieur de polynies naturelles ou artificielles afin de pouvoir lancer leurs missiles. Tout récemment, les SSBN ont été équipés d’un système de lancement de roquettes spécifique pour briser la glace de la banquise, l’emploi de torpilles n’ayant visiblement pas été jugé satisfaisant. Cette capacité à lancer en surface permet aussi à des SSBN demeurant à leur base de participer à la mission de dissuasion avec des permanences opérationnelles à quai ou sur coffre, période pendant laquelle l’équipage vit en autarcie complète. C’est sans doute dans ce rôle que les deux classe 667BDR Delta III récemment retirés du service en flotte du Pacifique ont été employés, leur garantie des équipements de sécurité-plongée étant arrivée à péremption.
A l’heure actuelle, la classe 667BDRM Delfin représente donc l’épine dorsale de cette composante, et la série des Arrêts Techniques Majeurs / modernisation va se poursuivre au chantier Zvezdochka de Severodvinsk, comme l’a confirmé le commandant en chef de la Flotte lors de son interview de la journée du sous-marinier le 18 mars dernier. Ces ATM sont de fait les derniers normalement prévus pour les deux dernières unités de la série. La durée de vie contractuelle des classes 667BDRM est de 30 ans, avec un ATM tous les dix ans. Il paraît douteux que ces sous-marins puissent entamer une troisième cycle d’ATM prolongeant leur service d’une nouvelle dizaine d’années.
Pour la suite, la fonte de la calotte glaciaire va nécessairement entraîner une remise en cause des bastions de la mer de Barents et d’Okhotsk, les SSBN pouvant alors être soumis plus aisément à un pistage de forces aéronavales adverses. Portées respectivement par Rubin et Malakhit, les deux derniers bureaux de conception de sous-marins porteurs d’arme, deux thèses semblent aujourd’hui s’affronter : la première avec une variante Borey-K armée de missiles hypersoniques Tsirkon, dont le tonnage serait en gros celui des classes 955A actuelles, la seconde avec une plate-forme commune avec les SSGN classe 545 Laïka, et ne mettant en œuvre qu’un plus petit nombre de missiles balistiques, mais construite en plus grand nombre. L’idée sous-tendue dans la seconde option serait de créer une plus forte dilution dans l’espace du nombre de porteurs, et donc de compliquer un éventuel plan de frappe adverse. Aucune décision n’est encore publique, mais l’emprise de Malakhit semble se renforcer, avec la nomination de son directeur général comme membre du Conseil scientifique de la Fédération de Russie.
On s’est limité à l’existant à ce jour, avec les dernières dates connues, ainsi qu’au programme de construction en cours de réalisation.
Nom |
ASA |
SR |
Échéance retenue |
Flotte |
K-44 Ryazan |
Sept. 1982 |
2011 - 2017 |
2027 |
Pacifique |
Figure 13 SSBN Classe 667BDR Kalmar
Nom |
ASA |
SR |
Échéance retenue |
Flotte |
K-51 Verkhoture |
Déc. 1984 |
2010 - 2013 |
2023 |
Nord |
K-84 Ekaterinburg |
Déc. 1985 |
2012 - 2014 |
2024 |
Nord |
K-114 Tula |
Oct. 1987 |
2015 - 2018 |
2028 |
Nord |
K-117 Bryansk |
Sept. 1988 |
2018-2020 ? |
2030 |
Nord |
K-18 Kareliya |
Oct. 1989 |
2020 – 2022* |
2032 |
Nord |
K-407 Novomoskovsk |
Nov. 1990 |
2023 – 2025* |
2035 |
Nord |
* * ces Arrêts Techniques Majeurs (ATM) / modernisations ont été confirmés par le commandant en chef de la flotte lors de son interview pour la journée du sous-marinier 2020
Figure 14 SSBN Classe 667BDRM Delfin
Nom |
ASA |
SR |
Flotte |
TK-208 D. Donskoy |
Déc. 1981 |
|
|
NB : le TK-208 n’est pas pris en compte, puisqu’il est entré en refonte / modernisation en septembre 1989, et qu’il n’a jamais été replacé dans le cycle opérationnel. Il n’est utilisé que pour des essais.
Figure 15 SSBN Classe 941
Nom |
ASA |
SR* |
Échéance retenue |
Flotte |
K-535 Yuriy Dolgoruki |
Déc. 2012 |
2022-2024 |
2042 |
Nord |
K-550 Aleksandr Nevskiy |
Déc. 2013 |
2024-2026 |
2043 |
Pacifique |
K-551 Vladimir Monomakh |
Déc. 2014 |
2025-2027 |
2044 |
Pacifique |
* *ce sont là des estimations
Figure 16 SSBN Classe 955 Borey
Nom |
ASA |
SR** |
Échéance retenue |
Flotte |
Knyaz Vladimir |
2020 |
2030-2032 |
2050 |
Nord |
Knyaz Oleg |
2020* |
2030-2032 |
2050 |
Pacifique |
G. Suvorov |
2021* |
2031-2033 |
2051 |
Nord |
I. Aleksandr III |
2022* |
2031-2033 |
2051 |
Pacifique |
Knyaz Pozharskiy |
2023* |
2032-2034 |
2052 |
Nord ? |
955A 6 |
2026* |
|
2056 |
Pacifique ? |
955A 7 |
2027* |
|
2057 |
Nord ? |
* *ce sont là des prévisions
** et là des estimations
Pour les n° 6 et 7 la commande est lancée, et le contrat définitif devrait être signé à l’été. La mise sur cale annoncée pour le 9 mai 2020 n’a pas encore eu lieu. Une version Borey-K lance-missiles de croisière stratégiques a été évoquée pour ces deux unités.
Figure 17 SSBN Classe 955A Borey-A
Abréviations utilisées
ASA : Admission au Service Actif
SR : Sredniy Remont
TK : Tekushiy Remont
[1] Voir Annexe 4 : les générations
[2] La correspondance entre les noms des classes russes et OTAN figure en annexe 5
[3] Voir Annexe 4 : les générations
[4] Bien entendu classe 667BDR Kalmar / Delta III et classe 667BDRM Delfin / Delta IV
[5]Environ 68 % des unités sont incluses dans un intervalle d’un écart-type de part et d’autre de la moyenne
[6] MSBS : Missile balistique stratégique lancé depuis un sous-marin