Dernière mise à jour: 19 juin 2020
La compréhension de la suite nécessite quelques précisions techniques. La pièce maîtresse d'un sous-marin est sa coque résistante, coque qui va lui permettre d'évoluer dans la 3ème dimension, et qui le différencie d'un simple navire de surface. Pour bien appréhender la suite de cette étude, il convient de prendre en compte les éléments qui vont influer sur l'état de cette coque.
On s'intéresse ici à la chimie des matériaux. La coque résistante est le plus souvent constituée d'un alliage visant à lui apporter les caractéristiques souhaitées. Mais cet alliage, qu'il soit à base d'acier, de titane ... est soumis à un vieillissement, soit provoqué par une interaction interne de ses composants ou de ses composants avec les matières employées pour souder les éléments entre eux. Le milieu marin est aussi fortement corrosif, et accentue cet effet de vieillissement, tout comme les variations de température. Sans compter les phénomènes de corrosion électrolytique ou galvanique. C'est pourquoi la DURÉE DE VIE dans le temps d'une coque épaisse est limitée. La valeur garantie par les chantiers dans la plupart des projets russes est de 30 ans à l’admission au service actif. Mais du fait des retards accumulés, on note que certains sous-marins sont encore en activité à plus de 40 ans.
On s'intéresse ici à la physique des matériaux. Il suffit de comparer l'état d'un ballon de baudruche dégonflé après avoir été porté à la limite de rupture avec celui d'un ballon de baudruche neuf pour comprendre que toute surpression engendre une déformation. Certes, et fort heureusement, celle d'une coque épaisse de sous-marin est moins flagrante. Mais il importe de prendre en compte ce critère. Ainsi, des plongées répétées à grande profondeur peuvent réduire la durée de service d'un sous-marin. Cette notion de cycle concerne aussi la batterie d'un sous-marin classique qui va être utilisable pour un nombre de chargements / déchargements donné, l'usure d'un moteur Diesel par des lancements à froid répétés ou encore l’état du combustible nucléaire. Cette donnée n'est pas prise en compte dans cette étude, d'une part parce que pour la partie matériaux, elle relève du secret militaro-industriel. Et d'autre part, parce qu'il faudrait tenir à jour une énorme base de données par sous-marin, prenant en compte chacune des plongées et les variations de pression subies par leur coque épaisse. Données bien entendues inaccessibles de manière ouverte.
Comme tout appareil complexe, un sous-marin nécessite un entretien régulier. Et un retour planifié vers un chantier d'entretien. Les usages russes distinguent :
Le terme Kapitalniy Remont (KR) [капитальный ремонт] qualifie les travaux de chantier qui vont affecter la mission d'origine du sous-marin. On peut citer par exemple la transformation de sous-marins d'attaque (SSK) de la classe 613 en sous-marins lance-missiles aérodynamiques de la classe 665, la transformation d'un sous-marin nucléaire lance-missiles balistiques de la classe 667BDR Kalmar en sous-marin nucléaire porteur de mini-sous-marins de la classe 09780 etc. Ces travaux affectent le plus souvent la coque épaisse, sinon les appareils de sécurité / plongée.
Le terme Sredniy Remont (SR) [средний ремонт] qualifie les opérations planifiées en chantier d'entretien. Dans le système russe, un sous-marin subit deux SR, chacune étant sensée lui apporter une durée de service de 10 ans. Mais il est clair que l'effondrement de l'URSS et les difficultés financières de la Russie ont mis à mal ce schéma bien huilé.
Le terme Tekushiy Remont (TR) [Tekushiy ремонт] qualifie les opérations d'entretien qui visent à maintenir ou rétablir les capacités opérationnelles. On peut en noter à des périodicités de 3 ans et demi à cinq, la tendance étant au raccourcissement, probablement du fait du vieillissement des matériels.
« En parc » : se dit d’un sous-marin admis au service actif, et ce jusqu’à ce qu’il soit rayé de la liste navale (retrait du service).
« En ligne » : se dit d’un sous-marin déjà en parc, mais qui ne se trouve ni en chantier (KR, SR ou TR), ni en réserve (de 1ère à 3ème catégorie, cette dernière étant le plus souvent la dernière étape avant le retrait du service. Ce qui ne signifie nullement que le sous-marin concerné soit disponible)[1]. Il peut en effet connaître une panne d’équipement ou ne pas disposer du personnel nécessaire qualifié pour son déploiement.
D’où l’écart qui figure entre le total des unités « en parc » et les unités « en ligne ». Cet écart peut paraître négligeable, mais il est en fait révélateur de la volonté du pays à se donner les moyens d’un entretien régulier, bien organisé et rapide. Sans base industrielle solide et sans moyens financiers conséquents, cet écart peut être très important, comme on le constatera par la suite, notamment pour les sous-marins nucléaires d’attaque (SSN) et les sous-marins lance-missiles aérodynamiques (SSGN).
NB : sont prises en compte pour cette distinction les opérations de Kapitalniy Remont et de Sredniy Remont et éventuellement les Tekushiy Remont lorsque les données sont disponibles, ce qui est plus rare. Pour les deux premières citées, l’unité change d’affectation et elle est alors provisoirement subordonnée à une formation spécifique réservée aux sous-marins en construction et / ou réparation. Le cas le plus emblématique de la période actuelle est celle du K-132 Irkutsk de la classe 949A Antey / Oscar II qui est en attente au chantier Zvezda depuis 2008. En modernisation au même chantier, il ne devrait pas revenir en service avant 2022. Ou encore celle du B-187 Komsomolsk Na Amure (classe 877M) resté indisponible de 2003 à 2017.
Pour terminer, on a retenu ici le terme de classe pour traduire le terme russe проект (projet), dès lors que le premier sous-marin est en service. Cette notion est plus familière au lecteur non russe.
Ex : classe 667BDRM Delfin / Delta IV pour проект 667БДРМ Дельфин
Les catégories prises en compte sont celles dont des unités étaient encore en service en 1992. Ont été ainsi écartés les SSB (sous-marins à propulsion Diesel-électrique lance-missiles balistiques) et les SSG (sous-marins à propulsion Diesel-électrique lance-missiles aérodynamiques).
Pour cette dernière catégorie, on pourrait objecter que les sous-marins du projet 06363 en font partie, puisqu’ils mettent en œuvre le missile Kalibr-PL. Mais, de fait, ces sous-marins ne disposent pas de tubes de lancement spécifiques pour ces lancements. C’est pourquoi ils sont comptabilisés dans la catégorie SSK (sous-marin d’attaque à propulsion Diesel-électrique).
Pour cette édition de la prospective, une nouvelle catégorie fait son apparition. Elle se situe à cheval entre « l’emploi spécial » et la dissuasion, puisque qu’affectés à la GUGI, (voir ci-dessous), ces sous-marins seront armés des méga-torpilles Poseïdon. Je les ai arbitrairement classés dans une nouvelle catégorie dénommée SSTN (sous-marins nucléaires lance-torpilles).
Enfin, les petits sous-marins dits d’« emploi spécial » appartenant à la Direction Principale de la Plongée Profonde du ministère de la Défense de la fédération de Russie (Главное управление глубоководных исследований Министерства обороны Российской Федерации)[2]et les drones ne sont pas évoqués ici, faute d’informations ouvertes suffisamment fiables et nombreuses.
[1]La disponibilité des SNLE soviétiques en ligne s’établissait autour de 30 à 50 % selon les époques, selon un internaute russe à priori bien informé
[2] Ces engins sont tous rattachés à la 29ème diviziya autonome de sous-marins, basée à Olenya Guba