Surnom russe: Briquet ou Inflammable
Le principe d'une propulsion unique est un vieux rêve de la marine russe. C'est une idée qui remonte au début du XXème siècle, avec la construction du sous-marin Pochtoviy. On verra plus loin que cette réalisation portait déjà en elle les fruits de l'échec du projet 615, avec un bruit rayonné par les moteurs beaucoup trop important... Des travaux sont de nouveau entrepris dès les années 30 avec la classe 95. Le succès apparent de cette dernière est tel qu'il est repris après la 2ème guerre mondiale, en se tournant vers une propulsion qualifiée d'anaérobie, puisqu'indépendante de l'air. La propulsion est en effet essentiellement basée sur des moteurs Diesel qui devaient fonctionner en circuit fermé avec un apport d'oxygène et une filtration des gaz par de la chaux [Système ED-KhPI [ЕД-ХПИ]].
Dans le cadre du programme de développement 1946 - 1955 de la flotte, le TsKB-18 est chargé en 1946 de la conception d'un sous-marin expérimental répondant à ce principe, dénommé projet 615. Il est placé sous la responsabilité de Abram Samuilovich KASSATSIER. La coque retenue constituait l'aboutissement de la coque des sous-marins Type M série XV (une coque et demie). On cherchait en effet à pouvoir transférer les unités construites d'une flotte à l'autre sur des wagons spécialement aménagés.
La coque épaisse est en acier SKhL-4. Toutes les liaisons sont soudées, mis à part quelques connections qui restent encore rivetées. Le massif est en duralumin riveté, tant pour sa structure que pour sa couverture.
L'intérieur de la coque est divisé en 7 tranches:
- 1ère tranche torpilles
- 2ème tranche batterie, avec les accumulateurs en partie inférieure
- 3ème tranche Central
- 4ème tranche énergie avec les 2 réservoirs de stockage d'oxygène
- 5ème tranche des moteurs Diesel latéraux
- 6ème tranche du moteur électrique et du moteur électrique central
- 7ème tranche des auxiliaires
Les cloisons étanches de la tranche 3 doivent résister à une pression de 10 kg/cm², les autres à une pression de 1 kg/cm² seulement. Les essais menés sur un segment de coque épaisse en février 1949 permettent d'observer que les cloisons de la tranche 3 résistent à une pression de 19,6 kg/cm². C'est la raison pour laquelle les couples intermédiaires ne sont pas installés.
Tout ce qui ne touche pas à la motorisation particulière est repris des classes 611 et 613, alors en construction.
La propulsion est assurée selon le principe mis au point sur le M-401 de la classe 95, bien entendu amélioré. Le sous-marin dispose de trois lignes d'arbre et de trois hélices. Les deux latérales sont entraînées chacune par un moteur Diesel M-50, au travers d'un accouplement à friction réversible, le tout commandé depuis un panneau situé en tranche 3. Ces moteurs sont deux fois plus puissants que les M-50R du projet 95, avec une puissance de 900 Cv à 1600 t/min. La ligne d'arbre centrale, nouveauté par rapport au projet 95, peut être entraînée soit par un moteur Diesel 37D de 900 Cv à 675 t/min ou par un moteur électrique PG-106 de 68 Cv à 290 t/min. Un accouplement à friction à commande pneumatique relie ces moteurs à la ligne d'arbre. Le moteur électrique est quasiment un moteur d'appoint, puisque l'autonomie qu'il permet est très réduite, compte tenu de la faiblesse de la batterie. Pour réduire le bruit rayonné (déjà!), tous les moteurs Diesel sont montés sur amortisseurs élastiques, et les collecteurs dotés de manchons spéciaux.
Le fonctionnement normal est assuré par le moteur Diesel central 37D qui peut fonctionner soit en mode naturel, soit en mode cycle fermé. Dans ce cas, la durée de fonctionnement est de 100 h, propulsant le sous-marin à la vitesse de 3,5 nds. En mode naturel, il assurait la navigation au schnorchel et la recharge des batteries.
Les moteurs Diesel latéraux n'étaient utilisés que pour les vitesses les plus élevées. A plein régime, avec les trois Diesel, la distance parcourue en plongée était de 47,6 N, ce qui était sans équivalent dans le monde à l'époque.
A la suite de l'expérience tirée du projet 95, le débit d'oxygène nécessaire est ici assuré par un régulateur automatique ARM mis au point par B. M. Balov, et ne dépend plus directement du doigté d'un opérateur. La réserve d'oxygène liquide à 13 kg/cm² s'élève à 8,6 tonnes réparties en deux réservoirs cylindriques en laiton. La réserve d'absorbeur chimique à base de chaux est de 14,4 t.
L'aménagement intérieur se révèle quelque peu complexe, du fait de tous les mécanismes à mettre en place. Une maquette en bois est construite, sous la surveillance d'une commission spéciale.
Le moteur électrique PG-106 et son panneau de commande occupent la tranche 7. Le moteur central 37D est installé en tranche 6 (tranche Diesel arrière), qu'il occupe pratiquement à lui tout seul avec le système de filtration des gaz. Une coursive très étroite placée sur tribord permet la communication entre les tranche 5 et 7, mais que d'un homme à la fois. Les moteurs M-50 sont installés en tranche 5 (Diesel avant), avec les filtres correspondants. L'encombrement est tel qu'il ne subsiste qu'un minuscule passage par le haut de la tranche. La cloison arrière accueillait le poste de conduite du moteur central, avec un hublot spécial permettant l'observation du mélange gazeux. Le réchauffeur d'oxygène prenait place dans la cale, sous l'opérateur. En tranche 4, les réservoirs d'oxygène occupent toute la partie inférieure de la cale de cette tranche, isolés par de la laine de roche de très haute qualité. L'absorbeur chimique est installé en deux caisses installées de chaque bord, au dessus des citernes d'oxygène. Ces caisses sont divisées en quatre, et reliées entre elles par des conduites ouvertes. Le passage d'un seul homme était possible entre ces bacs à chaux, qui s'élevaient pratiquement jusqu'au plafond de la tranche.
La production de gaz toxiques lors du fonctionnement en cycle fermé a conduit à installer les 3 moteurs Diesel dans des tranches étanches. L'accès à ces tranches étant alors impossible, tous les équipements sont mis en oeuvre depuis les tranches habitables par un système hydraulique à 0,6 bar. Les locaux machine sont maintenus en dépression de 100 à 500 Pa. Pour ce faire, une réserve de deux bouteilles d'air HP de 68 litres d'air alimentée par le compresseur électrique LK2-150 desservait un collecteur de réduction de pression placé dans le corridor de la 6ème tranche. Dans la tranche machine, sur bâbord, étaient fixés des filtres à l'hopcalite [un catalyseur de l'oxyde de carbone] et au charbon actif, avec un ventilateur, destinés à filtrer un maximum de gaz dangereux pour l'homme après la mise en route des moteurs en configuration plongée.
Un système de fermeture d'urgence du collecteur d'oxygène était disponible sur les panneaux de commande des Diesel des 4ème et 5ème tranche, pour éviter qu'une tragédie identique à celle du M-401 du projet 95 ne se reproduise. Des analyseurs d'oxygène LTI-50 de l'institut technologique de Leningrad permettaient un contrôle du taux d'oxygène selon l'intensité d'une flamme alimentée par des bouteilles d'hydrogène sous pression, intensité actionnant des thermocouples.
Le rechargement du mélange absorbeur pouvait se faire de manière plus aisée que sur le M-251. Des tuyaux de 70 mm permettaient d'embarquer directement l'absorbeur sous forme de poudre depuis des bacs de chargement ou une barge. Ces tuyaux pénétraient à l'intérieur du sous-marins par l'intermédiaire de panneaux spécialement aménagés à cet effet.
Le sous-marin dispose de 4 tubes lance-torpilles de 533 mm, sans torpille de réserve. Le canon 2M-8 de 45 mm installé à l'origine est démonté à la fin des années 50. Les équipements de navigation étaient au standard de l'époque et un sonar Tamir-5L était installé. Les conditions de vie à bord sont décrites comme étant plus que spartiates. Tout comme les classes 611 et 613, la classe est dotée de stabilisateurs d'immersion.
La seule unité construite, le M-254, est mise sur cale le 17 mars 1950 et mise en service le 31 mai 1953. En utilisant les trois Diesel, la vitesse atteinte en plongée atteignait 15,7 nds, avec une très forte évaporation de l'oxygène. Elle sert exclusivement en mer Baltique, et elle est désarmée en 1958, pour servir uniquement à la formation. Elle connaît déjà une explosion dans les 6ème et 7ème tranche dès 1955, qui ne fait aucune victime. Son taux de mise en ligne opérationnelle n'est que de 45,6 %. La seule unité construite présentant de nombreuses insuffisances, la série a été construite selon la classe A615.