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17 décembre 2017 |
La puissance calorique dégagée par les premiers réacteurs nucléaires à eau pressurisée a conduit plusieurs pays à s'interroger sur les filières à suivre pour accroître le rendement de ces réacteurs. Une des pistes les plus prometteuses consistait à remplacer l'eau pressurisée du circuit primaire par un liquide caloporteur plus efficace, appelé par la suite métal liquide.
Cette piste paraissait intéressante pour les sous-marins nucléaires, dont on espérait qu'elle permette de réduire la taille des installations. Alors qu'avec le SSN-575 Sea Wolf, l'US Navy s'intéressait au sodium, la marine soviétique s'est elle attachée à une autre solution, un alliage «liquide» plomb – bismuth. On espérait ainsi obtenir une installation énergie propulsion plus compacte, du fait d'une température et d'une pression plus élevés dans le circuit secondaire. La solution plomb – bismuth paraissait aussi moins dangereuse que celle du sodium, métal connu pour sa très forte réactivité en présence d'eau notamment. Le réacteur paraissait aussi plus simple à réaliser (homogénéité des combustibles et modérateurs) et plus fiable. Notamment du fait d'une pression plus faible dans le circuit primaire (20 kg/cm² ).
Les études débutent en 1955. Et le 22 octobre de la même année, le Conseil des ministres de l'URSS autorise la construction d'un sous-marin sous le nom de code projet 645, équipé de deux réacteurs nucléaires, et charge le SKB-143 de cette étude.
Dans ses grandes lignes, ce sous-marin ressemble au projet 627 Kit / November. Mais il faut tout de même attendre d'une part les premiers retours d'expérience de l'exploitation de ces premiers sous-marins nucléaires, et d'autre part les résultats de l'évaluation d'une installation à terre, placée sous l'égide de l'Institut de Physique Énergétique et construite sous le nom de réacteur VI par le bureau d'ingénierie OKB Gidropress de Podolsk.
Les premiers travaux techniques sont terminés en 1956. En novembre 1957, le plan de travail est élaboré. Le sous-marin est mis sur cale au chantier SEVMASH de Severodvinsk le 15 novembre 1958, et mis à l'eau le 1er avril 1962. Il est admis au service actif le 30 octobre 1963 sous le nom de K-27, et sa mission majeure consiste dans l'attaque des navires de combat et civils de surface de «l'ennemi probable» , comme ses cousins du projet 627.
La coque épaisse est construite dans un nouvel acier d'une résistance de 600 kg/cm² . Elle est divisée en neuf tranches dont les cloisons, à la différence du projet 627, permettent de résister à une pression de 12,5 kg/cm² . On espérait ainsi permettre une émersion depuis 100 m de fond avec une quelconque des tranches envahie.
Pour la coque externe, les ballasts, le kiosque et les extrémités on a fait appel pour la première fois à un acier faiblement magnétique, d'une résistance de 400 kg/cm². Tout en réduisant la signature magnétique du sous-marin, l'emploi de cette solution a permis de réduire la masse des superstructures de près de la moitié.
Les neuf tranches intérieures ont été aménagées selon un schéma différent de celui du projet 627. En effet, le bilan de masse total de l'ensemble énergie propulsion est plus élevé de 13,5 %. On a donc déplacé le compartiment réacteur vers l'avant. Et pour la première fois sur un sous-marin nucléaire soviétique, on a monté deux turbo-générateurs autonomes, que l'on a placés dans une tranche particulière entre celle des réacteurs et celle des turbines. L'adoption de cette solution technique résultait de l'exploitation des premiers projets 627 en service qui avait montré que dans certaines situations, les turbo générateurs attelés ne pouvaient fournir toute l'énergie nécessaire au bord, et qu'il fallait alors faire appel aux batteries.
De l'avant vers l'arrière, on trouve les tranches suivantes:
- 1ère : tranche torpilles
- 2ème : batterie et locaux vie
- 3ème : central
- 4ème : réacteurs
- 5ème : turbo générateurs (avec frigo air et auxiliaires)
- 6ème : turbines
- 7ème : moteurs électriques
- 8ème : locaux vie (avec armoires frigorifiques)
- 9ème : locaux vie (avec presses du gouvernail et des barres de plongée arrières)
Le déplacement des réacteurs vers l'avant a eu un effet positif sur la stabilité longitudinale. Mais la protection radiologique du central en a été affectée, et il a fallu déplacer le poste radar et le PC télécommunications au pont inférieur de la tranche 3.
L'installation énergie – propulsion reprenait l'architecture générale de la classe 627 avec deux lignes d'arbres et deux hélices. Mais la ressemblance s'arrête là .
Les deux réacteurs du type VT-1 alimentent deux turbines de propulsion ainsi que deux turbo-générateurs autonomes, et une batterie d'accumulateurs. La puissance propulsive ressort à 37 000 Cv.
Les deux réacteurs fournissent un puissance unitaire de 73 MW. Le liquide caloporteur du circuit primaire est à 440° C, avec une pression de 10 à 20 kg/cm² . La vapeur du circuit secondaire est surchauffée à 355° C, avec une pression de 200 à 250 kg/cm². Les réacteurs sont contrôlés depuis un panneau de commande placé à distance. Leur refroidissement s'effectue par une circulation naturelle, sans pompe du circuit primaire, et par le biais de canaux de refroidissement. La pression supérieure dans le circuit secondaire par rapport au primaire permet d'éviter une contamination radio-active de l'installation.
Chaque turbo-générateur est composé d'une turbine à action mono-étage entraînant une génératrice par le biais d'un réducteur (planétaire pour le turbo-générateur tribord). Chacun dispose de son propre condenseur. La puissance unitaire sur arbre atteint 1600 kW, à 1500 t/min, et pour un courant continu de 320 V.
Le sous-marin ne dispose pas de générateur Diesel de secours, les concepteurs ayant pensé un peu légèrement qu'il est inutile du fait de la présence à bord des deux turbo-générateurs autonomes. Ils confortaient leur raisonnement par le gain de poids résultant de la suppression de cette installation et des réserves de carburant nécessaires à son fonctionnement, compensant ainsi le surcroît de masse de l'ensemble énergie propulsion.
La propulsion de secours pouvait être effectuée par le biais de la batterie d'accumulateurs ou des turbo-générateurs alimentant deux moteurs électriques PG-116 de 450 Cv unitaire.
Les locaux disposaient pour la première fois sur un sous-marin soviétique d'une ventilation forcée basse pression contrôlée depuis le central. Ce dernier était plus vaste et plus fonctionnel que sur le projet 627.
Si les équipements étaient identiques au projet jumeau à réacteur à eau pressurisée, avec néanmoins l'ajout d'un second périscope, ils étaient disposés différemment. La base du sonar Arktika-M était déplacée au dessus des tubes lance-torpilles, tandis que celle de l'intercepteur passif MG-10 rejoignait le point inférieur le plus avancé de la coque, pour le placer le plus loin possible des interférences du bord. La proue était d'un nouveau profil mieux adapté.
La courte période de service a mis en évidence un grand nombre de défauts:
- l'utilisation d'un acier faiblement magnétique n'a pas été une réussite, l'industrie soviétique de l'époque n'étant pas en mesure de fournir un matériau de très haute qualité. La corrosion cristalline au contact de l'eau de mer, notamment à l'intérieur des ballasts, a conduit à l'abandon de cette solution sur les classes suivantes. Cet essai n'a pas non plus été très concluant sur la réduction de la signature magnétique du sous-marin
- le système de démagnétisation a été sous-calibré, rendant son efficacité douteuse
- l'absence de Diesel générateur a été une grave erreur, faisant courir un risque grave en cas d'avarie de l'installation de production de vapeur
- le bruit rayonné, dont le masquage n'avait pas fait l'objet d'étude préparatoire, dépassait même celui des sous-marins soviétiques de l'époque, déjà bien plus bruyants que leurs homologues occidentaux
- il fallait maintenir le liquide caloporteur du primaire à une température minimale de 125 ° C, à quai comme en mer. Ce qui nécessitait une très importante logistique, et réduisait le nombre de bases utilisables
- il était très difficile d'intervenir sur le circuit primaire, du fait de sa très forte pollution radioactive due au polonium-210 engendré par l'irradiation du bismuth.
Un seul sous-marin a été construit, le K-27. Sa carrière opérationnelle a été très courte. Débutée en 1963, elle s'est achevée en 1968, après seulement deux missions opérationnelles.
En effet, le 24 mai 1968, lors de la réduction d'allure après un essai à puissance maximale en plongée, la puissance du réacteur bâbord chute très brutalement, passant de 83 à 7% en moins de 90 secondes. Tout l'équipage est contaminé (le niveau atteint plus de 150 r/h). Cette irradiation provoque 9 morts. 30 membres de l'équipage décéderont entre 1968 et 2003 à cause de la dose reçue.
L'enquête ultérieure a montré qu'une fuite du liquide caloporteur du primaire a endommagé le contrôle des barres de régulation, l'une d'entre elles ayant même quitté son logement. Et le coeur a partiellement fondu. La température dans le compartiment réacteur a dépassé 1000 °C, et le rayonnement 2000 Roentgen. La gravité de l'accident a longtemps été tenue secrète, et les vétérans du bord décrivent une situation équivalente à Chernobyl.
Le K-27 servira à quelques essais jusqu'en 1973 où une dernière expérimentation permettra de pousser le réacteur tribord à 40% de sa puissance [NdA une telle inconscience ne fait hélas que préfigurer la catastrophe de Chernobyl]. L'éventualité de sa remise en service, même avec de nouveaux réacteurs à eau pressurisée est finalement écartée.
Désarmé en 1979, et réformé en 1980, il a été coulé par 75 m de fond dans l'est de la Nouvelle Zemble le 3 septembre 1981, après inertage de la tranche réacteur avec 270 t de bitume spécial. Son démantèlement présentait trop de difficultés, compte tenu de l'irradiation provoquée par l'accident. Il est néanmoins fait état de son possible relèvement, avec l'aide de l'Allemagne dans les années qui viennent.
L'"expérience" retirée du projet 645 a été utilisée pour la mise au point de la classe 705 Alfa.